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A l'automne dernier, est paru aux éditions Mannarino Troppo noi, fiabe per adolescenti (contes de fées pour pour adolescents) de Fiammetta Segala et Carla Simoni. J'ai déjà eu l'occasion d'écrire ici ce que je pensais de ce livre important, qui n'a pour seul défaut que d'être non traduit à ce jour en français. Il m'a semblé opportun d'interviewer l'une des auteures, Fiammetta Segala, pour parler des origines et des motivations de ce projet à quatre mains.
L'entretien a été réalisé à l'automne.
Bonjour Fiammetta, pourriez-vous nous parler d'abord de vos origines, puis de votre parcours académique ? Comment êtes-vous devenue enseignante ? Était-ce une vocation ?
Je suis née à Brescia et j'ai toujours vécu dans la province jusqu'à il y a quelques mois, à l'exception de la période de mes études universitaires à Pavie où j'ai obtenu un diplôme en littérature moderne avec une spécialisation en histoire de l'art. Mes parents m'ont eue à un âge tardif et m'ont transmis l'amour de la connaissance et de l'art. Je suis devenue enseignante presque par hasard, sur les conseils de ma mère, en passant un concours et en le réussissant. J'ai découvert un monde fascinant, stimulant et vivant et, au fil du temps, j'ai réalisé à quel point c'était un privilège de s'occuper d'enfants et de jeunes dans leur parcours d'apprentissage.
Après de nombreuses années d'enseignement, il y a cinq ans, j'ai passé et réussi un concours pour devenir tutrice coordinatrice à la faculté d'enseignement primaire de l'université catholique du Sacré-Cœur de Brescia. J'ai ainsi pu suivre des filles et des garçons qui ont choisi de devenir enseignants et, surtout, j'ai eu le privilège de partager mon expérience professionnelle.
Estimez-vous que votre orientation historique et artistique ait influencé votre manière d'enseigner ? Et si oui, comment ? Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?
L'amour de l'art et de la littérature est naturellement présent dans tous les domaines de ma vie et donc dans mon expérience professionnelle. Par exemple, dans le passé, j'ai enseigné les mathématiques en utilisant l'Odyssée et l'Enéide. Il n'y a pas de compartiments étanches dans la connaissance, et il n'y a pas de contraintes qui empêchent les enfants, même les plus jeunes, d'approcher la culture, en s'adaptant évidemment à eux.
Vos livres allient textes et dessins. L'amour seul de l'art et de la littérature ne fait pas de soi un artiste. Où puisez-vous votre inspiration ? Avez-vous suivi une formation dans ce domaine ?
Avez-vous eu des modèles particuliers ?
Je suis diplômée en Lettres avec une licence d'histoire de l'art et j'ai suivi des cours privés pour affiner certaines techniques. J'aime beaucoup d'artistes, quelles que soient les époques et les styles. Pour moi, l'inspiration vient toujours du mot. J'illustre le mot, je l'habille d'un dessin comme s'il s'agissait d'une robe, en essayant de prolonger et d'amplifier le sens de ce que je veux transmettre.
Ainsi, c'est donc le dessin qui "sert" le texte et non l'inverse ?
Dans mon cas, oui, mon médium privilégié est l'écriture.
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Venons-en précisément à votre écriture. En 2016, vous avez publié " Il cuore sul banco" ("Le cœur sur le banc "), un livre dans lequel vous explorez la grande question des émotions chez les garçons et les filles, et plus particulièrement le problème de la gestion de leurs émotions. Tout d'abord, pouvez-vous nous dire d'où vous est venue cette idée ?
Dans mon métier d'enseignante, j'ai été et je suis quotidiennement amenée à gérer des moments de "maladresse" émotionnelle. Le livre est né un peu au jour le jour en observant la dynamique des classes qui m'étaient confiées. Il n'a pas prétendu ni voulu être la panacée à toutes les difficultés, mais développe une idée de soutien ludique et efficace. Grâce à ces textes et dessins, chaque enfant peut identifier ses propres spécificités et se sentir moins seul : le premier pas pour surmonter un faux pas.
Pourquoi pensez-vous que le thème de la gestion des émotions est si important ? Pensez-vous qu'autrefois les garçons et les filles étaient mieux armés pour les gérer, ou s'agit-il d'un problème intemporel auquel nous sommes davantage sensibilisés aujourd'hui ?
Je pense qu'il fut un temps où, en général, les gens ne prêtaient pas beaucoup d'attention aux émotions des enfants. Les familles étaient différentes, les temps et les besoins étaient différents, peut-être même les enfants étaient-ils différents. Aujourd'hui, on accorde une attention appropriée à une sphère qui sera déterminante pour la vie adulte.
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Vous venez de publier avec Carla Simoni "Troppo noi", un livre destiné cette fois aux adolescents.
Comment est né ce projet commun ? Aviez-vous déjà travaillé ensemble auparavant ?
Non, nous n'avions pas travaillé ensemble auparavant. J'ai rencontré Carla lors d'une soirée de présentation d'un de mes livres. La connaissant, connaissant son travail et son approche du monde des adolescents, j'ai senti qu'une bonne connexion pouvait se faire entre nous. Je lui ai parlé du projet sur lequel je travaillais et lui ai proposé une collaboration. Elle a accepté avec enthousiasme
Dans ce livre, vous abordez un large éventail d'émotions, de problèmes et de questions auxquels sont confrontés les adolescents. Pouvez-vous nous parler de votre processus créatif ? Par exemple, vous proposez aux lecteurs une sorte de relecture de certaines histoires ou contes de fées, avec une illustration pour chacun d'entre eux. D'où vous vient cette inspiration particulièrement réussie ?
J'ai toujours été fascinée par les contes de fées et leur déclinaison avec une clé de lecture métaphorique. Le conte de fées a, par nature, une fonction secrètement éducative. Dans "Troppo noi", il se libère de cet aspect au profit d'une fonction purement narrative, tentant de raconter certains aspects du voyage vers l'âge adulte, en s'abstenant de tout jugement, mais en élargissant la sphère de la compréhension et de la reconnaissance.
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Certes, certains contes de fées, et donc certains thèmes, résonnent de manière un peu plus sensible avec l'actualité de ces dernières semaines. Je pense en particulier à Barbe Bleue. Quels ont été vos sentiments personnels en tant qu'auteure de ce livre ?
J'aurais souhaité ne jamais avoir à écrire la partie sur Barbe Bleue, qui parle de l'idée de la possession d'une personne par une autre en déguisant l'abus avec les habits de l'amour. La possession n'est jamais de l'amour. Jamais. Ces jours-ci, l'Italie est secouée par un nouveau cas de féminicide. Je crois que parler aux garçons et aux filles, les aider à repérer les signes avant-coureurs dès le début peut aider. Malheureusement, trop souvent, des femmes de tous âges et de toutes conditions se retrouvent dans des situations qui dégénèrent en violences de toutes sortes.
D'une manière générale, avez-vous travaillé ensemble pour définir les sujets à traiter ? Ou bien chacune d'entre vous avait-elle des sujets plus personnels qu'elle souhaitait aborder, sur la base de ses propres expériences professionnelles et personnelles ?
Carla et moi avons travaillé en parallèle en utilisant des compétences techniques différentes, dans un processus de dialogue toujours fructueux et enrichissant. Nous nous sommes confrontées, nous avons clarifié, nous avons évolué dans une métamorphose positive. Dans ce petit livre, les mots ont été choisis et pesés un par un. Carla a lu mes textes, observé mes illustrations comme j'ai étudié ses écrits. Je crois que c'est une grande force de notre travail : une grande synergie au service des autres.
La quatrième de couverture indique : "l'intention de ce livre est de pouvoir être un soutien pour les adolescents, pour ceux qui les accompagnent dans leur voyage et pour ceux qui veulent redécouvrir leur adolescence". En effet, ce livre peut être considéré comme un ouvrage pour tous. Finalement, le monde des contes de fées a la magie de l'universalité.
Avez-vous eu des réactions après la publication ? Qui ont été les premiers à acheter le livre ? Les adolescents, les parents potentiels ou les éducateurs ?
Le livre n'est sorti que depuis peu de temps, mais de nombreux enseignants et éducateurs qui souhaitent parler de ce travail dans les écoles m'écrivent. Ces derniers jours, des adolescents ont également commencé à m'écrire pour me demander des informations ou simplement pour me faire part de leur joie de s'être reconnus dans certaines parties du livre. C'est magnifique.
Précisément, qu'est-ce qui a dicté le choix du noir et blanc (avec quelques touches de bleu uniquement pour Barbe Bleue...) ? Ce n'est pas si courant.
Mon intention était de donner un côté gothique aux illustrations pour les rendre plus attrayantes, en phase avec une tranche d'âge qui s'éloigne fortement de l'enfance. C'était gratifiant pour moi de créer ces sujets car je me reconnais beaucoup dans un style parfois un peu cru, mais aussi mystérieux et onirique.
Le résultat est particulièrement réussi. Y a-t-il un artiste ou un illustrateur dont le travail vous ait inspiré ?
Je ne m'inspire d'aucun artiste ou dessinateur en particulier. Cependant, je crois que ma passion pour l'art et le dessin influence toujours ce que je produis.
Parlons du titre de votre livre, Troppo noi. Comment vous a-t-il été inspiré ?
Le titre a été suggéré par ma fille de 17 ans. Je n'arrivais pas à en trouver un satisfaisant. Un matin, elle m'a dit : pourquoi pas Troppo noi ("trop de nous") ? Elle m'a expliqué que dans l'argot des jeunes, les enfants utilisent cette expression lorsqu'ils voient quelque chose qu'ils reconnaissent comme propre à eux-mêmes. Cette expression m'a donc semblé parfaite pour l'objectif du livre.
Parmi tous ces contes de fées, y en a-t-il un que vous aimez particulièrement et, si oui, lequel et pourquoi ?
Évidemment, les contes de fées que j'aime le plus sont ceux qui sont, d'une manière ou d'une autre, étroitement liés à mes propres expériences de vie ou à celles de mes proches. J'aime certainement la Petite Sirène, qui, sans surprise, figure sur la couverture. Je me concentrais sur les idées lorsque j'en ai parlé avec mon meilleur ami, que j'ai hélas perdu à cause d'une maladie en 2018. Je lui ai parlé de l'idée de relier les contes de fées classiques aux émotions et aux expériences de la période de l'adolescence. Plus précisément, nous avons parlé d'"unicité" et de "discrimination". Nous avons tous deux pensé à la Petite Sirène. Et c'est à partir de là que tout a commencé.
L'une des grandes forces de ce livre me semble être l'affection que Carla Simoni et vous-même semblez avoir pour les adolescents et même la tendresse que vous éprouvez à leur égard par rapport à toutes les difficultés qu'ils peuvent rencontrer...
Il y a quelque temps, lors d'une rencontre culturelle, des adultes parlaient des jeunes sur un ton plutôt hostile. La distance générationnelle risque de faire ressortir davantage les aspects négatifs. Je pense que c'est une erreur, les adolescents auxquels nous avons affaire aujourd'hui sont nos enfants, nos petits-enfants, et ce sont des enfants de ce temps. Les aimer, c'est aussi aimer les adolescents que nous avons été et qui, pour partie, continuent à vivre en nous. Certaines émotions, certains sentiments ne dépendent pas de la période historique. Ils sont universels. Dresser des murs à un moment de la vie où les adolescents ont un énorme besoin d'être entendus, d'être visibles, d'être encouragés, je pense que c'est insensé.
Propos recueillis par Xavier Arnaud
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Biblographie de Fiammetta Segala :
- Rime ri mate. La matematica in rima. Ediz. illustrata (2016)
- Il cuore sul banco. I sentimenti dei bambini e delle bambine a scuola (2018)
- Troppo noi. Fiabe per adolescenti avec Carla Simoni - Editore Mannarino - 80 pages - ISBN 979-12-5966-037-4 - Première impression : septembre 2023 - Disponible auprès de l'éditeur, de votre libraire ou en ligne..
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